J'aurais voulu être un art triste !
Un nouveau jour se lève.
Encore une journée à passer à faire semblant d'être bien, à rigoler, sourire, faire rire, animer des interviews TV, faire des photos l'air enjoué, comme si c'était ça ma vraie vie.
S'ils savaient à quel point mon spleen est un puit sans fond, ça ruinerait mon fonds de commerce, je serais même banni de l'émission de Mireille Dumas. C'est une vie sans espoir que je mène, le rituel de la corde débute toutes mes journées, celui de la roulette russe ne les a pas encore définitivement achevé.
Je pourrais être optimiste, depuis le temps que je presse cette gâchette sans le bang fatal, je devrais me dire qu'une bonne étoile veille sur moi et quelle m'apportera ce qu'il me manque, mais c'est pas suffisant... c'est bien trop peu pour couvrir toutes ces carences affectives qui jalonnent mon quotidien.
Je suis fatigué de vivre. Je suis lassé de cette vie.
Le strass, les paillettes, l'hypocrisie du show-biz, ce spectacle permanent de gaieté qui abrite une bande de paumés camés pour pas craquer, c'est pas une sinécure et pourtant ça fait rêver... s'ils savaient...
Me voilà enfin devant cet hôtel prestigieux où je dois éviter tous sujets litigieux et plaisanter sur des thèmes libidineux, avec ces vautours de journalistes véreux, achetés par ma production pour alimenter les feux de ma rampe. J'entre par la petite porte, le comité qui fait mal aux yeux évitera d'altérer ma pigmentation comme ça, je trouvais prétentieux le port de lunettes noires, maintenant je sais à quel point c'est une question de survie.
L'interview se déroule comme prévu, je suis drôle à faire pisser dans son froc, mon interlocuteur est finalement au féminin, son doux parfum m'enivre sensuellement et me donne petit à petit envie de rendre mon repas liquide, mon cocktail de bien être, mon liquide salvateur dans son joli décolleté, histoire de lui faire entendre que je ne compte absolument pas l'inviter à partager plus à propos mon montage de scénario pour mon one man show.
Il est déjà midi, je n'ai fait que parader et partager la vie d'un chauffeur de taxi, qui dieu merci ne savait pas qui il conduisait. En l'écoutant me raconter sa vie de merde, j'ai relativisé le temps du voyage mais une fois la porte de sa berline claquée, la mélancolie a repris son office de bourreau, qui tente de me trancher la tête avec une hache émoussée.
Il est temps de repartir, de courir après mon prochain meeting avec la presse. Je dois cette fois-ci traverser le hall, serrer quelques mains et me laisser immortaliser, probablement même glisser une blague à celui qui me tendra son micro pour que je donne du crédit aux rumeurs entretenu dans les tabloïds.
Cette traversée me paraît interminable, d'autant plus qu'il faut que je sorte une phrase, qui résumera toute l'étendue de mes aptitudes à faire des calembours dans n'importe quelle situation, car j'ai choisi le métier de comique pour donner du bonheur aux gens au travers d'un travail au rythme soutenu des zygomatiques, jusqu'à la courbature.
J'arrive dans la fosse, ils sont tous là l'arme au poing, prêts à dégainer leurs aveuglantes lumières furtives, le charognard au bras le plus long me tend comme à chaque fois son micro et me jette un "un petit mot pour TF1". J'avance en esquissant un sourire annonçant la sortie d'une vanne d'une intelligence rare dans l'univers télévisuel, qui fera dire que je suis vraiment un bon et qui plus est, constant dans ma dextérité à provoquer le fou rire, je tourne la tête dans sa direction, ma bouche libère quelques vocables, les visages s'illuminent déjà pour les minutes de brouhaha pleines de "ha ha ha" et là, je lâche la vanne ultime :
ben euh, un petit mot
La foule de rapporteurs est pliée en quatre et je repense à mes cachets en me confortant dans l'idée qu'ils sont vraiment mérités...
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