Slammers delight vol2
A ma porte est venu frappée l’opportunité d’enfin voyager vers l’étranger,
vers une destination pour moi inconnue, mais pourtant déjà vu par ceux qui
n’ont pas pu, m’y envoyer pour une question de revenus.
J’observe autour de moi et voit tous ces traits familiers, ces traits que j’ai
vu toute mon enfance dans les foyers Sonacotra en France, sur les visages des
gens de ma communauté pleine des souffrances, je me sens comme à Montreuil, Rue
Bara, je suis au Mali, je me sens chez moi.
Tous ces pifs, ces cheveux crépus, ces formes de têtes, ces fringues, ces
onomatopées, ces dialectes, ce parlé fort qui donne l’impression qu’on
s’embrouille alors qu’on discute...
Toutes ces têtes, sourires à pleine dents, très éloignées de ce visage
d’Uncle Tom qu’on voyait apparaître sur les boites de Banania, dont on ne
soupçonne pas la portée quand on est un enfant mais qu’on déteste une fois
adulte assez rapidement, saisi de la charge historique qui pèse sur le fameux «
Y’a bon Banania », implicitement.
Je tourne la tête et j’aperçois une sœur. Ses mains sont plus foncés que
son visage, visiblement elle n’a pas pensé à appliquer son produit d’une
manière uniforme, comme sur cette affiche du savon La Perdrix, vantant les
mérites d’un produit qui lave tellement bien qu’il rend immaculé l’avant bras
de cet homme aux grosses lèvres rouges et aux yeux exorbités, censé représenté
le nègre caricaturé.
Je ne peux m’empêcher de repenser, au moment où j’aperçois un gamin qui
mange sa glace au chocolat, au slogan de la marque Felix Potin pour ses carrés de
chocolat « Sale nègre, vous n’êtes pas chocolat, il n’y a qu’un chocolat, c’est
le chocolat Potin ».
Je souris jaune parce que ça me rend marron, d’être rouge de colère quand
on me dit que je n’ai pas d’humour noir...
Au cours de mon séjour, j’ai discuté avec différentes personnes de
générations différentes, pour concrètement savoir comment est la vie dans mon
pays. Les jeunes ne rêvent que d’évasion, les adultes comprennent la difficulté
d’avoir 2 nationalités et nous prient de ne pas oublier la moitié qu’on a en
commun, en visitant régulièrement, les anciens pestent qu’on ne soit toujours
pas marié.
Ici les ravages post-coloniaux se palpent à chaque coin de rue, rues où on
aperçoit parfois des gens qui festoient, qui chantent et qui dansent en tapant
des mains, le pur cliché de l’image que certains se font de l’Afrique en ayant
visionné les reportages quasi animalier qui racontent la terre de mes ancêtres.
En les regardant bien sûr, une phrase que j’ai entendu moult fois et même
beaucoup trop, sonnent dans ma tête, « vous les Noirs, vous avez le rythme dans
la peau ». Le rythme dans la peau ouais. Ca s’explique plus par le fait qu’on
écoute une musique où le beat est clairement perceptible que par une quelconque
hérédité, hérédité qui soi disant nous attribuerait des baobabs en guise
d’organes reproducteurs.
Ne comprends tu pas que c’est par association au monde animal, pour
justifier notamment de l’inhumanité du traitement, que des légendes ont été
fondés sur des capacités sexuelles extraordinaires ?
Ne comprends tu pas à quel point ça ne nous fait pas marrer les blagues
incessantes sur ce sujet ?
Parce que ça rappelle qu’à une époque qu’on espère voir un jour
complètement révolu, c’était une raison pour déconsidérer, avilir sans
scrupules, déshumaniser.
On ne peut s’empêcher de repenser, de retourner dans le temps il y a 400
ans, quand on estimait la qualité d’un esclave à la gueule de ses dents, comme on
le fait pour un chien ou un cheval, qui avait plus de valeur qu’une personne
tombant sous le joug du Code Noir, qui légalisait la coupe du jarret, même la
mort au bout d’une 3ème tentative de regain de sa liberté.
Ne comprends tu pas pourquoi je serre les poings quand tu trouves
proprement hallucinant à quel point j’ai les dents d’un blanc éclatant, comme
tous mes semblables, alors que c’est peut-être une question de contraste tout
simplement ?
J’ai passé trois semaines pleines de remises en questions, pleines de
parallèles avec ma vie française, dans la plénitude de ne plus être considéré
pour ma couleur de peau.
J’ai passé trois semaines à avoir le cœur serré de constater que même si
Thomas Jefferson a œuvré pour la cause des Noirs, en proposant une loi
interdisant l’importation des esclaves par exemple, il en avait tout de même
qui travaillaient dans ses champs de tabac, du lever de soleil jusqu’à ce qu’il
fasse noir.
Les pays du Nord actuel, c’est un peu Thomas en fait.
Sally Hemings sa maîtresse noire qu’il n’a jamais émancipée de son vivant,
malgré qu’elle lui ait donné un enfant, l’Afrique, en fait.
« Maintenir l’esclavage c’est comme tenir un loup par les oreilles : on
n’aime pas cela mais on peut pas le lâcher » il disait.
Comprendras tu un jour pourquoi j’ai dû mal à oublier l’esclavage et le
colonialisme ?
Parce que si la forme a évolué, le fond lui semble immuable.
Ca peut sembler surréaliste mais ne dit-on pas qu’au royaume des aveugles,
le borgne est roi ?